On sait quel mal Enron a fait à l’économie américaine. Alors pourquoi cette entreprise est-elle encore habilitée à recevoir l’argent des contribuables américains? Au lieu de s’embourber dans la faillite, Enron poursuit ses activités internationales. Et, croyez-le ou pas, cette entreprise discréditée, au cour d’un scandale sans précédent, continue à demander que ses opérations internationales reçoivent un financement public.
Le traitement médiatique de l’effondrement d’Enron a conduit bien des gens à croire que l’entreprise était pour ainsi dire défunte. Il n’en est rien. La décision qu’a prise Enron de demander à tre placée sous le régime de protection du chapitre XI de la loi sur les faillites l’a amenée à perdre ses opérations de commerce d’énergie en Amérique et l’ a forcée à vendre certains de ses actifs. Mais un grand nombre de ses filiales à l’étranger restent intactes. Alors mme qu’aux États-Unis Enron est attaquée en justice par ses actionnaires et fait l’objet d’ une enqute du Congrès, elle prévoit de sortir de la faillite en position d’offreur global de services énergétiques.
Enron continue de manipuler les marchés de l’énergie dans le monde entier à l’aide de nombreux consortiums et filiales. Ses actifs actuels dans la seule Amérique latine comprennent des investissements dans des compagnies de gaz et d’électricité au Brésil et au Venezuela, des pipelines en Colombie et en Bolivie, et des centrales électriques à Panama, au Guatemala et à Porto Rico. Dans bon nombre de ces pays, des représentants de l’entreprise ont garanti que les problèmes que connat Enron aux États-Unis n’affecteront pas ses opérations locales.
Enron a construit son empire global avec l’aide de sommes considérables fournies par les contribuables américains. Un rapport récent de l’Institute for Policy Studies de Washington, D.C., montre que depuis 1992, les projets liés à Enron ont reçu plus de 4 milliards de dollars de subsides du gouvernement des États-Unis. D’autres sources publiques telles que la Banque mondiale et la Banque européenne d’investissement ont versé 3 milliards supplémentaires.
On est forcé de reconnatre que 7 milliards de dollars représentent une somme considérable. Pourtant Enron en veut encore plus. La Banque de développement inter-américain (IDB), organisme à financement public, envisage un prt de 125 millions de dollars pour l’extension d ‘un oléoduc bolivien qu’Enron veut réaliser par l’intermédiaire du groupe Transredes. Tout comme Shell Bolivie, l’autre actionnaire majeur de ce consortium, Enron vise à faire des profits en Bolivie en utilisant des fonds publics pour poursuivre ses pratiques répréhensibles.
l’étranger comme aux États-Unis, cela fait bien longtemps qu’Enron fait pression pour la dérégulation et tente de se soustraire à toute surveillance. Le gouvernement bolivien a récemment lancé une enqute sur d’éventuels vices de forme dans le processus par lequel Enron a obtenu l’accès aux marchés énergétiques du pays. Des organisations écologistes et de défense des droits humains telles que l’Organisation des communautés ethniques de Santa Cruz (Bolivie) signalent que l’ extension de l’oléoduc Transredes couperait à travers des sections toujours plus importantes de régions écologiquement sensibles, ainsi que les terres protégées des peuples indigènes de Bolivie. Ces organisations rappellent le désastre qu’avait constitué la rupture de l’oléoduc de la mme compagnie à Sica Sica-Arica, déversant des milliers de barils de pétrole brut raffiné dans la rivière Desaguadero avant que les responsables ne commencent les réparations.
Pourquoi les États-Unis persistent-ils à financer de si sombres affaires ? Au nom du “libre échange”, des organisations à financement gouvernemental comme l’IDB et la Banque mondiale ont passé plus de deux décennies à promouvoir la privatisation des secteurs énergétiques. Depuis le gouvernement Reagan, elles ont forcé les pays demandeurs d’aide à mettre en ouvre de strictes mesures ” d’ajustement structurel ” et à déréguler leur économie. Simultanément, les entreprises transnationales mettent les gouvernements pauvres en concurrence les uns avec les autres pour attirer les investissements étrangers dont ils ont tant besoin.
En conséquence, les services publics se retrouvent de plus en plus souvent entre les mains d’entreprises privées comme Enron, qui mènent leurs affaires sans aucune responsabilité vis-à-vis du public. Les gens ordinaires sont les premiers touchés lorsque ces entreprises limitent l’offre et augmentent les prix, semant la misère parmi ceux qui n’ont pas les moyens de payer pour des services jusqu’alors publics comme l’électricité, l’eau et les soins médicaux. C’est également une source de conflits sociaux. La flambée des prix imposée par Enron a entrané des “black-outs” qui ont fini par provoquer des émeutes au Guatemala et en République dominicaine, entre autre pays.
Les membres du Congrès vont avoir l’occasion d’arreter l’afflux de fonds gouvernementaux vers Enron lorsque l’IDB et autres financiers publics se présenteront pour le renouvellement des autorisations. Avant d’approuver de nouveaux fonds pour ces banques, les législateurs pourront insister sur l’interdiction des prots destinés à des projets liés à Enron. Cela mettrait un terme aux pratiques destructrices et irresponsables comme l’extension de l’oléoduc bolivien.
Ce type d’interdiction des subsides publics pour les exploits internationaux d’Enron constituerait un bon premier pas, mais il faudra aller plus loin si l’on veut réellement prévenir les abus de ce genre. Les règles qui gouvernent les échanges et les investissements mondiaux doivent tre modifiées et mises au service de l’intérot public. Il nous faut rejeter les politiques de privatisation et de dérégulation promues par les institutions financières comme l’IDB et la Banque mondiale, politiques qui encouragent la corruption sur le modèle Enron et aggravent les injustices. Et il nous faut montrer la mme indignation lorsque nos entreprises commettent des délits à l’ étranger que lorsque le scandale est national.